“Je préférais mourir libre plutôt que rester soumise” (1/2)
A l'âge de 21 ans, Kenza fuit la France et un père qui tente de contrôler sa vie entière, jusqu’à son intimité et sa sexualité. “Badass la newsletter” a recueilli son témoignage dont voici la première partie.
Kenza* est une bonne amie. De celles dont on partage de bons moments à l’approche de la trentaine, mais dont on ne connaît pas certains épisodes de la vie.
Alors quand je lui annonce travailler sur le rapport des femmes à la sexualité et qu’elle me répond “eh bien moi, j’ai dû fuir la France à cause de cela », je suis intriguée.
Nous nous donnons rendez-vous dans mon salon, et débute l’interview la plus longue que j’aie jamais faite tant l’histoire de Kenza me tient en haleine. Sa vie est un véritable combat pour le droit à l’intimité et à la sexualité, mais aussi une bataille pour l’émancipation et l'ascension sociale.
“Fille parfaite”
Kenza grandit dans une cité du 93. Sa mère est née en Algérie et son père, qui a toujours vécu en France, est originaire du même pays. Elle est l’aînée d’une fratrie de quatre enfants, mais aussi de toute une génération de cousins et cousines. Il faut donc montrer l’exemple.
« Ça a été très lourd pour moi d’être la première. Ce qui m’animait, c’était d’être la fille parfaite et de ne pas provoquer de problèmes à mes parents », se souvient-elle.
Entre rire et larmes, elle me raconte comment elle vit la pression familiale. « Déjà à l’âge de 5-6 ans, je rêvais d’un prince charmant qui viendrait me sauver. Je réfléchissais aussi à la façon dont j’allais pouvoir protéger ma mère. »
Car le foyer est violent. En un claquement de doigts, son père se met dans des colères noires et brise tout dans la maison. Des torrents d’injures pleuvent au quotidien sur la mère. « C’est cliché, mais il suffisait qu’il rentre du travail et qu’un détail ne lui plaise pas pour qu’il s’en prenne à elle », raconte Kenza.
Interdits
Témoin de ces scènes, elle s’accroche à ses études, seul moyen de s’évader. Elle est excellente élève, mais n’a pas le droit de faire des activités en dehors de l’école. Sport, colonies, sorties. Tout lui est interdit. Son père n’a confiance en personne, et l’idée qu’elle puisse être agressée sexuellement est sa plus grande peur. « C’était une obsession et cela justifiait le fait qu’il ne nous laisse rien faire. Pendant longtemps, j’ai eu le sentiment d’être son objet », rapporte Kenza.
A l’adolescence, cette peur se transforme en crainte que sa fille ne “perde sa virginité”. « Nous sommes musulmans mais mes parents n’étaient pas très pratiquants. Nous n’avions pas vraiment d’éducation religieuse. En revanche, nous avons beaucoup baigné dans la culture de l’Islam et il fallait absolument rester vierge jusqu’au mariage. C’est une application très patriarcale de la religion. »
Vague flirt
L’enfance s’étire et le quotidien est ponctué de violences, de visites à la famille, et de longues heures à regarder la télévision.
En pleine adolescence, Kenza se noue d’amitié avec un garçon qui déménage aux Antilles. Commence alors une correspondance par écrit entre deux gamins de 15 ans qui s’apprécient et flirtent vaguement. Alors qu’elle est enfermée à la maison, lui fait ses premières conquêtes sous le soleil.
« Il me faisait rêver par sa liberté, explique Kenza. J’avais l’impression d’être Madame Bovary. »
La première crise éclate lorsque le père découvre un jour ces échanges. «J’avais demandé à cet ami de signer avec un prénom féminin au cas où quelqu’un tomberait sur nos lettres, explique Kenza. Mais en lisant, mon père a deviné que c’était un garçon qui écrivait. Il a retourné ma chambre et a pris toutes les lettres. Ce qui a suivi est digne d’un film hollywoodien. »
Certificat de virginité
Le père débarque dans la famille, courriers à la main. Tremblant de colère, il crie des insultes, lance à la mère que “sa fille est une pute.” Toute la famille lit les lettres. Une vraie violation de l’intimité. S’ensuit un branle-bas de combat. Il faut conduire Kenza en urgence chez un gynécologue pour obtenir un certificat de virginité. Ce dernier refuse, arguant que la présence ou l’absence d’un hymen ne prouve rien.
Kenza vit cet épisode comme une trahison et une humiliation. « J’avais l’impression d’avoir commis un meurtre. J’aurais préféré 1000 fois qu’il me hurle dessus en aparté plutôt que de me lapider devant le reste de la famille », regrette-t-elle.
“Je ne te lâcherai plus”
Elle est placée sous surveillance les mois qui suivent. « Je ne te lâcherai plus », lui promet son père. Il lui est désormais interdit de mettre un pied ailleurs qu’à l’école. Même la bibliothèque où elle pouvait aller travailler auparavant lui est maintenant refusée. « Je lui avais malheureusement donné un os à ronger, commente-t-elle. Les moments qui ont suivi ont été durs ».
L’après-lycée se déroule mal. Alors qu’elle est studieuse et appliquée, les notes de Kenza s’effondrent en prépa. Elle fait une dépression nerveuse et ne parvient plus à sortir de son lit pendant deux mois.
« Mes parents ne comprenaient pas pourquoi je faisais des études. Ils ne voulaient pas que je prenne les transports, que j’aille trop loin d’eux. Moi, je rêvais de Sciences-Po, d’écoles de commerce. Je vivais dans une cité et je visais la lune. Mais c’était impossible. J’ai eu des pensées suicidaires, je ne supportais plus la pression familiale et la pression de l’école. »
Premier copain
Kenza est atteinte, mais parvient à se relever. « Ma spiritualité m’a sauvée. J’ai toujours écouté des signes qui m’ont aidée à m’en sortir ». Elle enchaîne les petits boulots, s’inscrit à la fac et obtient une première année de licence.
Elle sort aussi avec son premier copain, à 20 ans. Une relation dont elle me parle avec un peu d’amertume. « Il m’a larguée par mail et s’est justifié en disant qu’il ne supportait plus de me voir souffrir à cause de ma famille. »
Quelques semaines après cette rupture, son téléphone sonne en plein cours. Le numéro de son ex petit ami s’affiche, mais c’est une voix familière qui débute la conversation. « Devine qui c’est ? », lui demande son père.
* Le prénom a été changé
Ann-Laure BOURGEOIS
Ann-Laure Bourgeois
Des rédactions de CM2 trop longues. Des feuilles de classeur agrafées les unes aux autres. Des petits romans qui donnent vie à des petites héroïnes vivant des petites histoires d’amour. Puis des récits véritables, relatés avec la plume de journaliste. Voici les différentes histoires que j’ai écrites avant d’en arriver à celles racontées dans Badass la newsletter.
Je m'appelle Ann-Laure Bourgeois, je suis journaliste indépendante, rédactrice, enseignante, maman, et j'ai déjà vécu plusieurs vies! J'ai lancé cette infolettre bimensuelle pour celles et ceux qui ont reçu une mini-éducation sexuelle, mais beaucoup d'injonctions... comme moi.
Je souhaite proposer un journalisme d'authenticité et de qualité, loin de la course à l'audience mais aussi apporter de la diversité dans ce milieu car je me suis aussi trop peu reconnue au sein des rédactions dans lesquelles j'ai travaillé.